COVID-19 : quel impact sur les start-up ?

« Il est indéniable qu’il y aura des conséquences mais il est de notre devoir de penser au jour d’après »,

Philippe Moreau, directeur d’IncubAlliance

 

Alors que la France est entrée en confinement ce mardi 17 mars, l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur l’économie mondiale s’annonce sévère. Dans ce contexte de forte incertitude, se pose bien sûr la question de l’avenir des start-up dont on connait les promesses mais aussi les fragilités. Comment les accompagner au mieux durant cette crise dont il est aujourd’hui difficile de dater le terme ? A quoi pourrait ressembler « le jour d’après » pour elles mais aussi pour l’ensemble de l’écosystème de l’innovation dans lequel elles s’inscrivent. Les réponses de Philippe Moreau, directeur d’IncubAlliance, l’incubateur mutualisé de Paris-Saclay.

 

Comment envisagez-vous l’impact de la crise sanitaire qui nous frappe sur les start-up ?

A court terme, il est indéniable qu’il y aura des conséquences. Il faut bien se rendre compte que deux ou trois mois de retard peuvent peser très lourds sur une trésorerie de jeune pousse. L’objectif des porteurs de projet que nous accompagnons est d’abord de décrocher leurs premiers marchés. Or en période de confinement et d’incertitude généralisés, on peut craindre que la priorité des donneurs d’ordre ne soit pas au lancement de preuves de concept au sein de leurs organisations. Certaines start-up risquent donc de voir leur activité ralentie pour une durée indéterminée. Un ralentissement encore plus sensible pour les très jeunes entreprises hardware dont le développement des produits passent par des processus physiques « in situ ». Par ailleurs, j’ai peur qu’on s’oriente vers un enrayement graduel de l’économie très dommageable pour les petites entreprises. En effet, quelques acteurs économiques anticipant des difficultés de trésorerie commencent déjà à bloquer leurs paiements. C’est à mon sens un très mauvais calcul pour tout le monde. Il me semble plus pertinent de maintenir autant que possible les flux de l’économie réelle, notamment pour les TPE de l’innovation. Pour ce faire, les acteurs bancaires doivent dès maintenant jouer à plein leur rôle en se portant garants ou en déployant des outils adaptés, comme l’affacturage par exemple. Enfin dernier point, les start-up deeptech s’appuient massivement sur les subventions en phase d’amorçage. Il est donc essentiel que les organismes publics et parapublics qui contribuent au financement des jeunes pousses accélèrent l’instruction des dossiers. Cependant sur ces deux derniers points, nous avons des raisons de rester optimistes si l’on s’en tient aux récentes annonces qui ont été faites. Par exemple Bpifrance assure se porter garant pour les entreprises qui auraient besoin de trésorerie en les aidant à obtenir ou maintenir un crédit bancaire.

 

Au niveau d’IncubAlliance, quelles mesures ont été prises pour faire face à cette situation ?

Exerçant un métier d’abord de conseil, nous avons pu très rapidement mettre toute notre équipe en télétravail pour participer au mieux à l’effort collectif voulu par les autorités. Grâce à l’agilité de notre équipe opérationnelle sous la direction de François Many, tous nos échanges avec les entrepreneurs se font désormais en ligne avec les bons outils. A titre d’exemple, le séminaire de 3 jours que nous organisons régulièrement avec chaque cohorte de nouveaux incubés du GenesisLab a bien débuté comme prévu ce jour mais sous la forme d’un webinar complété par quelques ateliers en ligne. Bref, nous faisons tout pour maintenir une activité quasi-normale même si le site d’Orsay est fermé pour une période indéterminée, sauf pour des motifs d’urgence - la sécurité des locaux étant bien sûr assurée.

On vit sur le cluster Paris-Saclay une situation paradoxale. Alors que la proximité physique entre acteurs fut l’un des motifs à l’origine du projet de regroupement des institutions sur Paris-Saclay, nous apprenons aujourd’hui à travailler ensemble et à distance. Les mois à venir vont nous convaincre de l’importance de la dimension physique dans nos échanges. Nous aurons peut-être l’occasion dans le futur de mieux valoriser cette dernière en évitant par exemple les déplacements inutiles.

 

Pensez-vous, comme certains commentateurs, que la crise actuelle créé des opportunités ?

Compte-tenu de la gravité de la situation, il m’est difficile de parler d’opportunités. Toutefois, il est de notre devoir, en tant qu’acteur de l’innovation, de nous poser la question du « jour d’après ». C’est pourquoi nous avons décidé chez IncubAlliance de « mettre à profit » cette période pour faire évoluer encore nos méthodes de travail. Nous allons notamment tester la mise en place de programmes plus densément en ligne - non pas pour qu’à l’avenir ils remplacent le travail en présentiel dont j’ai dit toute l’importance - mais pour envisager de nouvelles organisations et revisiter certaines de nos habitudes de travail. Au-delà d’IncubAlliance, je pense par ailleurs que cette période, au cours de laquelle les infrastructures numériques mondiales vont être trés sollicitées, nous montre le caractère fondamental des innovations digitales du dernier quart de siècle. Beaucoup sont portées par des entreprises qui n’existaient pas il y a 20 ans ! De la même manière et plus largement encore, il me semble inévitable pour les grands groupes comme pour les petites et très petites entreprises de s’interroger sur la pertinence de leurs chaines de valeur mondialisées. Le monde de la Recherche Publique dont IncubAlliance est très proche révisera peut-être aussi ses priorités en matière de programmes. Beaucoup de questions de ce type seront posées « le jour d’après ». C’est peut-être ainsi, en étant au pied du mur, contraints de sortir du cadre, que nous parviendrons à inventer les nouveaux chemins d’innovation.