Il aura fallu à Sandra Suarez l’épreuve d’une grave maladie, l’expérience du lâcher prise lors d’un tour du monde et 10 ans de travail pour donner naissance à It’s Brain, start-up spécialisée dans la conception de tests neuro-cognitifs performants. Chercheuse en neurosciences et clinicienne en psychologie-neuropsychologie, Sandra consacre depuis plusieurs années toute son énergie à mettre à la disposition de ses collègues praticiens des outils innovants correspondant davantage aux avancées des neurosciences. Un pari payant comme en témoigne l’intérêt grandissant des cliniciens pour MindPulse, le premier test neurocognitif porté par la start-up accompagnée par IncubAlliance Paris-Saclay. De la recherche à l’entrepreneuriat : retour sur l’atypique parcours de Sandra Suarez.

Après une formation initiale très riche, c’est dans le monde de la recherche que vous commencez votre carrière.

Je suis effectivement titulaire de trois diplômes de 3^ème cycle : un doctorat de neurosciences, un diplôme de psychologue spécialisée en neuropsychologie et pathologies acquises et développementales des fonctions cognitives, et un master de gestion de projets en situation de développement. Mais à l’issue de mes études, c’est en effet comme chercheuse en neurosciences que j’ai débuté ma vie professionnelle, en effectuant deux post-docs consécutifs à ma thèse à la Pitié Salpêtrière. Le premier Post-doc à Montréal où j’ai fait des recherches en IRMf et le second dans la prestigieuse unité du professeur Changeux. Tout allait pour le mieux dans mon parcours de chercheur sur lequel j’avançais avec succès quand, du jour au lendemain, tout s’est effondré.

Que s’est-il passé ?

Après la naissance de mon troisième enfant, j’ai appris que j’étais atteinte d’un cancer très grave pour lequel le pronostic n’était vraiment pas bon. Je n’avais pas le choix, il fallait que je mette toute mon énergie à me soigner. Ont alors commencé pour moi des années de traitement qui m’ont contrainte à stopper mes activités de recherche qui portaient à cette époque sur la question de l’évaluation de la cognition humaine dans le cadre de différentes pathologies et sur des recherches plus fondamentales sur les neurotransmetteurs impliqués dans les comportements. Soucieuse de me recentrer sur l’essentiel, à savoir ma vie de famille, j’ai alors fait le choix d’ouvrir un cabinet de neuropsychologie, une activité qui me semblait moins prenante que la recherche. L’occasion de me rendre compte que les outils utilisés par les praticiens dont je faisais désormais partie n’étaient pas au niveau des dernières recherches en cours.

Est-ce ce constat qui vous a poussé à vous lancer dans la création de It’s Brain ?

Oui mais pas seulement. A l’époque, j’avais beau faire ce constat, je n’avais rien d’autre à proposer. Je n’avais pas encore eu l’idée qui a tout déclenché.

Quand et comment cette idée vous est-elle venue ?

En Australie, alors que j’étais devant des crocodiles ! Je m’explique. Lorsque nous avons appris que j’étais enfin en rémission après des années de traitements, nous étions tellement heureux avec mon mari que nous avons décidé de nous lancer dans un tour du monde en famille avec nos trois enfants. Un périple qui m’a donné l’occasion de reprendre contact avec certains collègues chercheurs étrangers avec lesquels j’ai pu échanger sur le retard des outils cliniques par rapport aux avancées de la recherche. Une parenthèse qui m’a également permis de faire l’expérience du lâcher prise dont j’avais certainement besoin pour que mes idées se mettent en place. C’est donc alors que nous étions en Australie en train de contempler des crocodiles que l’idée à l’origine du test Mindpulse m’est soudainement apparue très clairement.

Qu’avez-vous fait alors ?

Dès mon retour en France, j’ai immédiatement fait part de mon idée à d’anciens collègues chercheurs, alors en poste au CNRS. Très enthousiastes, ils m’ont tout de suite suivie et nous nous sommes mis au travail en parallèle de nos activités respectives, eux dans leurs laboratoires et moi dans mon cabinet de psychologue. Nous avons ainsi fait avancer cette idée progressivement, pendant 6 ans. Six années au cours desquelles nous avons affronté les problèmes les uns après les autres, connu des mois de blocage et de grandes avancées, jusqu’au développement de notre premier prototype et l’obtention de notre première preuve de concept en 2016. Après quoi, les choses se sont à nouveau compliquées puisque, pour financer le développement informatique nécessaire à l’avancement du projet, il nous fallait rentrer dans une logique entrepreneuriale, ce qui à titre personnel me semblait hors d’atteinte.

Qu’est-ce qui vous a permis de franchir ce nouvel obstacle ?

Ma rencontre avec l’équipe d’IncubAlliance Paris-Saclay. Je me suis présentée dans cet incubateur pour discuter de la pertinence de mon projet et de l’éventualité de sa conversion en entreprise. J’ai non seulement été écoutée et conseillée, mais en plus on m’a proposé de m’accompagner – ce qui a fini de me rassurer. J’ai donc intégré le Genesis Lab en janvier 2019 en mode éponge : tout ce que j’apprenais, je le mettais immédiatement en application. En l’espace de quelques semaines, j’ai littéralement changé de monde. Et c’est ainsi que j’ai naturellement pu convertir mon projet de recherche en projet d’entreprise. Un projet qui est très vite monté en puissance puisque, à peine It’s Brain créé en juin 2019, nous obtenions la Bourse FrenchTech nous permettant de lancer le développement informatique nécessaire à la professionnalisation de notre prototype.

Vous qui découvriez alors le monde de l’entrepreneuriat, qu’en avez-vous pensé ?

Que c’est un monde passionnant et très exaltant ! J’y ai retrouvé la passion pour l’inconnu que l’on connaît bien dans le monde de la recherche. Lors du Genesis Lab, j’ai également eu la surprise de croiser d’autres porteurs de projets aux profils, aux histoires et aux parcours très variés. Evidemment, force est de constater que le monde de la start-up reste encore majoritairement masculin et que certaines logiques qui s’y appliquent sont encore essentiellement pensées par et pour des hommes. J’ai notamment pu observer des stéréotypes et idées préconçues sur le profil « supposément essentiel à avoir pour réussir en tant qu’entrepreneur ». Stéréotypes qui rejettent clairement les personnalités jugées trop « empathiques », le fait de se soucier de son équipe, ce qui est plus souvent le cas des femmes… Je me suis également heurtée à des idées préconçues sur les chercheurs, selon lesquelles il serait négatif de vérifier ses data et de ne pas désirer vendre une « intuition » mais un produit validé scientifiquement… Même le fait d’être passionné et de travailler en couple à son domicile peut être perçu comme un « déséquilibre ». Or je suis une femme, une chercheuse passionnée par ce que je fais et psychologue… Ces critères, érigés en normes pour obtenir des fonds par exemple, sont un obstacle de plus à surmonter. En pratique, ces stéréotypes excluent clairement la diversité.

Pour autant je vais réussir avec ma personnalité de femme chercheuse parce que ce que je présente c'est un projet extrêmement solide, et que c'est avant tout par sa qualité que le Mindpulse s'imposera.

Pensez-vous qu’il y ait besoin de qualités humaines spécifiques pour se lancer dans l’aventure entrepreneuriale ?

Je crois que ce qui est déterminant c’est l’intensité de l’envie ! On ne peut pas se lancer à moitié dans ce type d’aventure, il faut s’y consacrer à 100%. Ce qui signifie, concrètement, de savoir supporter le stress, de surmonter la peur de ne pas y arriver et de savoir prendre des décisions en situation d’incertitude. En ce qui me concerne, le risque financier constituait également un obstacle majeur que je n’ai réussi à dépasser que grâce au soutien de l’teur et après avoir obtenu le soutien de Bpifrance. Si j’avais un conseil à donner à un entrepreneur en herbe, ce serait donc de prendre le temps d’échanger avec un expert-comptable avisé et des organismes bancaires pour s’assurer au plus vite de la stabilité financière de son projet.

Pour en savoir plus sur It’s brain : https://www.mindpulse.net