Créer des aliments fonctionnels innovants pour les adultes souffrant de dénutrition clinique : telle est l’ambition du projet Fermentis porté par Muriel Thomas, directrice de recherche INRAE que rien ne semblait destiner à l’entrepreneuriat. Comment celle qui se qualifie elle-même de « souris de laboratoire » est-elle parvenue à revêtir le costume d’entrepreneur ? Quels verrous a-t-elle du faire sauter pour se lancer ? Quel a été le rôle d’IncubAlliance dans cette mue ? Muriel Tomas nous répond.

 

Pouvez-vous nous résumer le parcours qui vous a mené au projet Fermentis ?

Je suis physiologiste et chercheur à l’INRA [récemment devenu INRAE] depuis 21 ans maintenant. Au sein de l’Unité MICALIS (Microbiologie de l’Alimentation au Service de la Santé Humaine), je dirige actuellement une équipe de recherche autour des effets « santé » des microbiotes intestinal et pulmonaire. Ces recherches m’ont permis d’obtenir plusieurs financements dont un financement de pré-maturation Idex Paris-Saclay pour aller plus loin dans mes recherches sur les bactéries d’intérêt pour la santé. C’est dans le cadre de ce financement qui contenait un volet Formation que j’ai eu l’opportunité de suivre le Genesis Light d’IncubAlliance et donc d’ouvrir une première porte sur le monde de l’entrepreneuriat que je ne connaissais pas.

 

Avant que cette opportunité ne se présente, rien ne semblait donc vous destiner à la création d’entreprise ?

Absolument rien ! Chercheur par passion depuis toujours, je suis ce que l’on pourrait appeler une « souris de laboratoire » ! Evidemment au cours de ma carrière, j’ai vu certains de mes collègues, en parallèle de leurs recherches, se lancer dans des projets entrepreneuriaux. Mais je ne me suis jamais reconnue en eux. Ils me semblaient en effet correspondre aux canons de ce que je considérais être un « entrepreneur type », alors qu’à titre personnel, en tant que femme chercheur, en deuxième partie de carrière, tout semblait m’éloigner de ce type de trajectoire.

 

Une conception a priori qui a, semble-t-il, été remise en question grâce au Genesis Light…

Effectivement, le Genesis Light auquel j’ai participé dans une promotion exclusivement constituée de chercheurs a profondément transformé ma vision de l’entrepreneuriat. J’y ai notamment découvert que beaucoup de qualités nécessaires pour porter un projet entrepreneurial n’étaient dans le fond pas si éloignées de celles que l’on est appelé à développer en tant que chercheur. Je pense notamment à l’opiniâtreté, à la capacité de diriger un collectif, de rebondir en cas d’impasse, de trouver des financements, d’écouter des avis, etc. Au cours de cette formation, j’ai également pu identifier tout ce que je ne savais pas, ce sur quoi il me faudrait travailler et quel profit je pourrais tirer d’un accompagnement en la matière. Enfin, à titre personnel, je crois que le Genesis Light m’a montré qu’il était possible de s’autoriser à aller au bout d’une idée. Alors que cela faisait des années que je me disais qu’il serait intéressant de creuser cette idée des bactéries d’intérêt en vue du développement d’aliments fonctionnels sans jamais avoir/prendre le temps d’aller plus loin, j’ai enfin décidé de me lancer, convaincue que, quelle que soit l’issue de ma démarche, je serais gagnante de toute façon.

 

C’est donc tout naturellement que vous vous êtes ensuite engagée dans le Genesis Lab…

Oui, ce qui en soit, était un tout autre engagement. Alors que le Genesis Light consistait en 7  journées de formation non consécutives que je pouvais suivre en parallèle de mon activité principale, je me lançais là dans 6 semaines de formation intensive à temps plein sur ce projet de création d’aliments fonctionnels innovants que j’avais enfin osé formuler et assumer – et ce dans une promotion où, cette fois-ci, les profils étaient beaucoup plus hétérogènes et où j’étais la seule à venir du monde de la recherche.

 

Qu’y avez-vous appris ? 

J’ai notamment découvert qu’un projet comme le mien pouvait être un formidable intégrateur social. Alors que dans le monde de la recherche on ne communique sur un projet que lorsque l’on a déjà publié et que les principales dimensions en ont été validées, dans un projet entrepreneurial on doit au contraire intégrer le plus tôt possible le maximum d’acteurs possible. Dans le cadre du projet Fermentis, je me suis donc surprise à oser entrer en contact avec des EPHAD, des collectivités territoriales ainsi qu’avec une diversité d’acteurs avec lesquels je n’aurais jamais imaginé avoir à traiter. Or c’est très enthousiasmant de pouvoir fédérer comme cela autant de personnes autour d’un projet en émergence pour lequel tout reste à faire ! C’est un peu comme si je touchais du doigt très concrètement et pour la première fois l’approche de science participative à laquelle les chercheurs sont de plus en plus invités à contribuer. Intégrer un collectif comme le Genesis Lab constitue par ailleurs un fabuleux moyen de démultiplier les opportunités de partenariat et donc de gagner du temps.

 

Aujourd’hui, comment envisagez-vous l’avenir ?

Avec beaucoup de sérénité ! Grâce à l’accompagnement d’IncubAlliance, je vais enfin pouvoir consacrer du temps au développement de mon projet tout en conservant mes fonctions au sein d’INRAE et donc en gardant un pied dans le monde de la recherche. Concrètement, je travaille déjà à intégrer le projet Fermentis dans la cohérence du projet de recherche global de mon équipe - l’idée étant de tendre vers une création de start-up que je ne dirigerai pas mais à laquelle j’apporterai mon concours scientifique. Je n’ai aucune angoisse quant à cette aventure dans la mesure où, quelle qu’en soit l’issue, je suis aujourd’hui convaincue que je n’en tirerai que des bénéfices ! Sur le plan personnel, je ne regretterai jamais d’avoir enfin assumé ma volonté d’aller au bout d’une idée. Quant au plan professionnel, je ne peux que constater combien cette expérience a déjà profondément modifié ma façon de travailler, d’encadrer mon équipe ou de fédérer des collectifs.